La montée en puissance de Google et Facebook et le déclin des nouvelles locales canadiennes
Deuxième partie
Le journalisme d'information – en particulier le journalisme professionnel et la vérification des faits – est essentiel à la démocratie. C'est un bien public. Mais cela ne signifie pas qu'il existe un modèle financier pour le soutenir – du moins, plus maintenant.
Pendant des décennies, un modèle financier solide a permis de financer les informations. Ce modèle, c'était la publicité. Beaucoup de publicités. Nos médias écrits et audiovisuels bénéficiaient du patronage mercenaire d'annonceurs en quête de clients. Grâce à eux, nous ne payions jamais qu'une infime partie du coût de nos informations. Ce qui est toujours le cas.
De nombreux Canadiens ne savent pas que, pendant un siècle, les coûts des reportages étaient subventionnés de 80 à 100 % par les annonceurs, selon qu'ils étaient diffusés par les journaux, la radio, la télévision hertzienne ou le câble. Nos informations étaient gratuites, ou du moins fortement subventionnées par les annonceurs.
Dans le nouvel environnement numérique, ces annonceurs ont afflué vers Google et Facebook grâce à leur audience de masse et au ciblage laser des utilisateurs et des acheteurs.
Mais notre appétit pour les nouvelles n'a pas faibli. Les Canadiens les dévorent en ligne, surtout sur leurs téléphones. Malheureusement, la couverture professionnelle des nouvelles, en particulier des nouvelles locales, a diminué à mesure que les revenus publicitaires et l'emploi des journalistes ont baissé. Imaginez l'épaisseur de votre journal local il y a 30 ans par rapport à aujourd'hui, et constatez combien d'histoires locales en moins vous pouvez trouver maintenant.
L'effritement de ce modèle d’affaires pour les nouvelles locales a été documenté avec force détails dans le rapport de 2017 du Forum des politiques publiques intitulé « Le miroir éclaté ». Si vous suivez les rapports annuels des organismes de presse canadiens depuis lors, vous constaterez que la situation n'a fait qu'empirer.
Ce graphique montre comment la part de marché publicitaire des organismes de presse écrite et télévisée, comparée à celle de la publicité en ligne, a basculé en une décennie.
Un autre graphique nous montre que les plateformes Google et Facebook détiennent 75 % du marché en ligne, les sites d'information environ 6 %:
Le journalisme écrit, qui génère la plus grande partie des reportages originaux au pays, a été le plus durement touché par le succès des plateformes. Après avoir atteint un sommet en 2012, les revenus publicitaires des éditeurs de presse canadiens n'ont cessé de diminuer pour atteindre la moitié de ce qu'ils étaient. Pendant ce temps, les revenus publicitaires de Google ont doublé et ceux de Facebook ont quadruplé. Dans la même période, les effectifs des salles de rédaction ont diminué d'un tiers, ce qui réduit la capacité de couvrir les nouvelles locales.
Les informations télévisées vont également dans la mauvaise direction. Selon les données sur l'emploi recueillies par Unifor, le syndicat du secteur de la télévision, les effectifs de collecte de nouvelles ont diminué de 20 % depuis 2014.
Le déclin de l'emploi dans la collecte de nouvelles correspond à la même trajectoire des revenus des diffuseurs : Les données du CRTC révèlent que les radiodiffuseurs « conventionnels » (c'est-à-dire excluant les chaînes payantes) ont enregistré une perte moyenne de 8 % depuis 2012.
La radio est fortement tributaire de la publicité locale mais, avant la pandémie, elle affichait une marge bénéficiaire de 20 % et semblait avoir résisté à la tempête de Google et Facebook grâce à son public captif dans les déplacements en voiture.
La radio est une plateforme indispensable pour informer le public. Toujours dotée d'un personnel réduit, la radio est connue pour ses reprises de reportages originaux réalisés par les journaux et la télévision. Malheureusement, la radio a subi une perte de 50 % de la publicité pendant la pandémie. Signe des temps, les stations de nouvelles radiophoniques de Bell Média à Montréal et à Toronto ont licencié la plupart de leurs journalistes au début de 2021.
Ce que la dernière décennie a montré, c'est que la perte de la subvention des annonceurs pour la collecte d'informations n'est pas remplacée. Et donc, nous devons chercher une solution.
Les revenus des abonnés sont le remplacement logique de la perte des revenus publicitaires.
Malheureusement, le consommateur de nouvelles typique est habitué à recevoir des nouvelles gratuites ou à faible coût et résiste à l'idée de payer pour les obtenir. Les quelques exemples de réussite en matière d'augmentation des revenus des abonnés se limitent pour la plupart à de petites publications de niche dont les consommateurs sont très fidèles et aisés.
Pour le grand public, les seuls organismes de presse numérique nord-américains qui ont réussi à mettre en place un modèle économique prospère de paiement par abonnement sont le Washington Post et le New York Times. Évidemment, ce sont des journaux nationaux avec une couverture locale ou régionale limitée. Plus évident encore, ils sont présents dans le plus grand pays riche de la planète, avec un marché de masse de 340 millions d'Américains.
On peut légitimement se demander si un organe de presse canadien peut reproduire ce succès d'abonnement dans un pays de 35 millions d'habitants.
Le leader du peloton, le Globe and Mail, n'a pas atteint le même succès que le Times ou le Post, bien qu'il soit possiblement à portée de main. Il convient de noter que le Globe s'adresse à une population aisée et bien éduquée, et non à un public de masse et à des citoyens diversifiés qui ont besoin de consommer des informations pour faire fonctionner une démocratie.
Le Toronto Star a connu un succès mitigé en augmentant le nombre d'abonnés payants et, fait révélateur, les nouveaux propriétaires du Toronto Star se tournent agressivement vers leurs actifs non médiatiques pour générer des profits qui pourraient subventionner la collecte de nouvelles.
Le National Post a augmenté son journalisme d'opinion dans l'espoir d'attirer davantage d'abonnés payants, mais Postmedia n'indique pas les profits et les pertes du Post dans ses rapports trimestriels.
Et ce sont là des organismes de presse qui se disputent un public national payant. Il n'existe que peu d'exemples, voire aucun, d'un modèle d'abonnement payant réussi dans les marchés métropolitains locaux, les villes et les municipalités.
Le sort des nouvelles locales est à peine moins sombre à la télévision.
Il y a moins de stations indépendantes encore en ondes et elles sont en difficulté. Le CRTC leur a lancé une bouée de sauvetage en 2017 en créant le Fonds pour les nouvelles locales: une modeste subvention de l'industrie de 21 millions de dollars prélevée sur les compagnies de câblodistribution canadiennes et destinée à des stations comme CHEK TV Victoria, CHCH Hamilton et NTV à Saint-Jean.
Contrairement aux stations indépendantes, les réseaux nationaux comme Bell Média CTV, Québecor TVA et Global News de Corus ont la possibilité d'atténuer la perte de revenus publicitaires par des subventions croisées internes au sein de leurs opérations de diffusion afin de maintenir les nouvelles locales à flot.
Par exemple, certaines stations de réseaux locaux dans les grandes zones métropolitaines – comme Global News à Vancouver ou CTV à Toronto – sont rentables, ce qui permet à leurs réseaux parents de maintenir la diffusion sur des marchés plus petits avec moins d'annonceurs locaux. Mais à mesure que les recettes publicitaires diminuent, il y a moins de bénéfices pour l'interfinancement des stations sœurs.
Les revenus des abonnements au câble perçus par les programmes sportifs et de divertissement rentables des grands réseaux de radiodiffusion constituent une source de subventions croisées encore plus importante pour les nouvelles locales.
Mais même ces activités télévisuelles rentables sont en déclin. En effet, la télévision sur Internet a bouleversé le modèle, vieux de plusieurs décennies, selon lequel les réseaux de télévision canadiens achètent les droits de distribution canadiens de programmes américains à succès et les vendent au détail aux téléspectateurs canadiens avec un bénéfice – ce qui permet de financer les nouvelles locales.
Alors que la télévision migre du câble vers l'Internet, Netflix et les diffuseurs de télévision sur Internet de plus en plus nombreux appartenant à des étrangers, comme Disney Plus et DAZN Sports, ont laissé de côté les revendeurs canadiens et commercialisent leurs films, émissions et événements sportifs directement auprès du public canadien.
Il n'est donc pas surprenant que les revenus et les profits des compagnies de télévision canadiennes soient en chute libre. C'est l'une des principales raisons pour lesquelles les chaînes de télévision canadiennes et d'autres groupes d'intérêt public ont soutenu le projet de loi C-10, le projet de loi Netflix qui a été arrêté par l'obstruction parlementaire des conservateurs au printemps dernier.
L'objectif du projet de loi C-10 était d'obliger les compagnies de télévision par Internet appartenant à des intérêts étrangers à contribuer financièrement – comme le font déjà nos compagnies médiatiques nationales en vertu de la Loi sur la radiodiffusion – au contenu canadien des émissions de nouvelles, de sports et de divertissement.
À l'approche des élections fédérales, nos organismes de presse sont toujours à bout de souffle. Les effectifs des salles de rédaction ont rétréci. Les modèles de paiement par abonnement ne sont toujours pas rentables pour le journalisme écrit. Les subventions internes n'ont pas arrêté le déclin des nouvelles locales télévisées.
Et la cause, voire les coupables, sont Facebook et Google. Plus d'informations à leur sujet dans le prochain blogue.
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