La prochaine législature sauvera-t-elle le journalisme?
Howard Law, Novembre 18, 2019
Maintenant que la poussière de la 43e élection est retombée, le NPD, le Bloc Québécois et le Parti Vert vont talonner le gouvernement afin qu’il mette en œuvre une législation progressiste, et elle devra inclure des mesures pour sauver le journalisme et la culture canadienne.
Ils doivent être sauvés. Les rapports trimestriels publiés par Torstar et Postmedia quelques jours seulement après l’élection le montrent bien.
Les résultats de Postmedia sont moins catastrophiques que l’an dernier. Mais il est indéniable que la tendance à la baisse continue : la plus importante organisation de presse écrite du pays a subi une perte de 16 % (64 millions de dollars) de ses revenus tirés de la presse écrite sur une base annualisée, qui est atténuée par une hausse des recettes de 8,6 millions de dollars provenant de la presse numérique. Cette croissance du volet numérique est inférieure à celle d’il y a un an. Ne vous attendez pas à un revirement spectaculaire.
Les résultats de Torstar sont vraisemblablement pires encore. Les recettes tirées de la publicité de la presse écrite ont chuté de 23 %.
Torstar et Postmedia ont toutes les deux obtenu des crédits d’impôt fédéraux dans le budget de 2019, d’une valeur annualisée de 10 millions de dollars pour Postmedia et de 6 millions de dollars pour Torstar.
Le programme fédéral annoncé en mars dernier représente une aide de 595 millions de dollars sur 5 ans : après un calcul rapide, et en y ajoutant la somme de 50 millions de dollars de l’Initiative fédérale de journalisme local annoncée un an plus tôt, quelque 130 millions de dollars seront octroyés annuellement aux organisations journalistiques en chute libre.
En principe, l’aide fédérale compense les pertes causées par Google et Facebook qui ont siphonné les recettes publicitaires de l’industrie de l’information. Les recettes publicitaires représentent de 80 à 90 % des revenus totaux des organisations journalistiques. Ces revenus servent à payer les factures.
L’an dernier, l’industrie de la presse écrite a observé une baisse de 143 millions de dollars des recettes publicitaires, soit une perte de 9 %, les mêmes résultats que les 6 années précédentes.
Selon les plus récents résultats de Torstar et de Postmedia faisant état de pertes de 23 % et de 16 %, respectivement, cette baisse s’est vraisemblablement accentuée. L’aide fédérale était probablement insuffisante dès le départ. Et elle n’arrive pas à rattraper le retard.
Pendant la campagne électorale, le chef du NPD Jagmeet Singh a dit que le programme d’aide des libéraux était symbolique uniquement. Ce jugement aurait peut-être été sévère si l’industrie avait été en mesure de faire plus de gains en attirant des abonnés numériques et en vendant des publicités numériques pour compléter l’aide fédérale. Mais les gains compensatoires tant espérés de recettes numériques ne se concrétisent tout simplement pas. L’aide fédérale est en effet une solution de fortune qui s’écaille.
C’est pourquoi le gouvernement libéral doit se montrer plus ferme pour sauver le journalisme : il doit mettre un terme à cette échappatoire fiscale de 1,6 milliard de dollars qui récompense les annonceurs canadiens qui choisissent Google et Facebook plutôt que des publicités canadiennes en ligne, domaine où nos organisations journalistiques excellent. En éliminant cette échappatoire, nous récupérerons des millions de dollars de publicités numériques et renflouerons les coffres du gouvernement fédéral en vue de bonifier le programme d’aide pour sauver le journalisme : c’est exactement ce qu’ont promis le NPD et le Parti Vert en campagne électorale. Le Bloc Québécois est du même avis.
Les nouvelles télévisées locales, qui sont exclues du programme d’aide fédérale, se dirigent tout droit dans ce même gouffre, bien que le pire de la crise n’ait pas encore frappé. C’est le signal de l’inaction des libéraux fédéraux et de l’organisme fédéral de réglementation, le CRTC.
La réglementation du CRTC force les plus grandes sociétés médiatiques du Canada à interfinancer leurs nouvelles locales déficitaires en se conformant aux exigences relatives aux dépenses minimales. Mais ces exigences en matière de dépenses sont liées à un pourcentage fixe de recettes publicitaires qui diminuent constamment, la faute étant attribuable encore une fois à Google et Facebook.
Pour répondre à la baisse de revenus, nos diffuseurs ont réduit les dépenses au détriment des nouvelles locales, ce que la réglementation du CRTC leur permet de faire. Cette réduction se traduit par des compressions des effectifs, plus récemment dans les nouvelles locales de CTV et de Global où les diffuseurs ont remplacé le duo journaliste-vidéographe par des vidéojournalistes seuls.
Citytv a éliminé le contenu local de son émission Breakfast Television dans ses stations de l’Ouest. Ces baisses constantes des effectifs durent déjà depuis des années.
Si le gouvernement fédéral croit qu’il est important que les Canadiens aient accès à des nouvelles télévisées locales, il devra veiller à une meilleure réglementation des diffuseurs. Tant que les subventions croisées offertes aux nouvelles locales qui perdent de l’argent sont liées au pourcentage des revenus à la baisse, nos diffuseurs procéderont à des réductions de personnel.
Il est frustrant de savoir que la part des recettes globales en matière de diffusion ne diminue pas : en fait, elle explose. Mais cette croissance profite aux entreprises américaines non réglementées de diffusion en continu, comme Netflix, Amazon, Disney, Apple, CBS, DAZN et NBC Universal, qui ne contribuent pas au fonds d’interfinancement qui permet de payer les factures pour les émissions canadiennes d’information, de sport et de divertissement.
Les libéraux ont fait une promesse électorale pour corriger la situation, comme l’ont fait le NPD et le Parti Vert. Le Bloc Québécois y est également favorable. Plus important encore, nous n’avons pas à attendre que la Loi sur la radiodiffusion soit méticuleusement examinée et débattue au cours des quatre prochaines années. En vertu de la loi existante, le gouvernement fédéral peut demander au CRTC de mettre fin immédiatement à l’exemption réglementaire dont profitent Netflix et d’autres grands diffuseurs, une mesure qui pourrait bien sauver les nouvelles télévisées locales.
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