Les éditeurs de presse rompent les rangs, Google et Facebook ont-ils gagné ?
Le 15 novembre 2021
Pablo Rodriguez revient au ministère du Patrimoine canadien.
Le 27 octobre, le Toronto Star a cédé à Google en signant un accord « à prendre ou à laisser » sur le paiement du contenu des informations apparaissant sur Google. Six jours plus tard, il capitulait également devant Facebook.
Ne soyons pas trop sévères à l’égard de Jordan Bitove et Paul Rivett, propriétaires du Torstar : presque tous les autres éditeurs de presse canadiens avaient plié l’échine quelques mois auparavant.
Il s’agit d’une stratégie mondiale des géants du Web pour contrer les gouvernements nationaux qui tentent de les obliger à partager ces bénéfices inconvenants tirés des contenus d’information apparaissant sur Google Search et sur le fil d’actualité de Facebook.
Le gouvernement libéral réélu ayant promis aux électeurs canadiens d’obliger Google et Facebook à contribuer beaucoup plus au journalisme, les titans numériques de la Silicon Valley ont conclu des accords préventifs avec des éditeurs financièrement désespérés. Faire en sorte que le Star se joigne au Globe and Mail, Saltwire, Black Press, La Presse et autres pour conclure un accord (dont les détails sont protégés par des ententes de non-divulgation) sur le paiement du contenu a été une victoire pour les géants.
Le PDG de Postmedia, Andrew MacLeod, est désormais le seul à réclamer un meilleur accord par le biais de mesures législatives. Espérons que son plan de match est gagnant, car il est peu probable qu’un projet de loi sur les plateformes soit adopté par le Parlement en 2022 et que le « prix du marché » du contenu payant n’ait pas déjà été établi comme un fait accompli par les autres accords entre plateformes et éditeurs, ce qui correspond à la stratégie de Google et Facebook.
Il y a dix mois à peine, en février 2021, on aurait pu croire que l’Australie avait fait plier les géants américains après l’échec de la grève des capitaux de Facebook, qui avait fermé son fil d’actualité australien pendant une semaine dans une tentative de faire échouer la législation en cours visant à créer un code de négociation obligatoire pour les médias.
La performance sans faille du Premier ministre australien Scott Morrison a inspiré les pays souverains du monde entier : le ministre canadien du Patrimoine, Steven Guilbeault, a clairement indiqué que le modèle australien de « négociation collective » entre les éditeurs et les plateformes était en passe de devenir réalité.
Si les conservateurs n’avaient pas fait de l’obstruction au projet de loi Netflix en mai dernier, la solution australienne aurait pu être adoptée par le Parlement avant le déclenchement des élections.
Or, cela n’a pas été le cas et les éditeurs de presse canadiens étaient trop désespérés et trop divisés pour attendre plus longtemps. Ils ont signé les offres de Google et de Facebook, qui dictaient pour quels contenus d’information ils paieraient et pour quel montant.
Ces accords justifient le discours triomphaliste de Google et de Facebook, qui dit à peu près ceci : nous apportons plus de valeur aux éditeurs de presse par la distribution que les éditeurs de presse ne nous en rendent par les recettes publicitaires, mais nous vous offrons un peu d’argent pour que vous nous laissiez tranquilles.
À ce stade, il convient de se demander si le modèle australien est aussi bon qu’il le semblait en février dernier. Pour ce faire, il faut examiner de plus près la législation.
En guise de rappel, le projet de loi australien (An Act to Amend the Competition and Consumer Act) vise à remédier au déséquilibre du pouvoir de négociation entre les plateformes et les agences de presse. Il autorise le gouvernement à créer un code de négociation des médias dans lequel les plateformes sont contraintes de négocier avec les éditeurs et les diffuseurs, principalement sur les contenus payants, mais aussi sur des questions secondaires telles que les modifications des algorithmes de classement des contenus. En cas d’échec des négociations, un arbitrage contraignant est possible. Voilà la clé pour corriger le déséquilibre du pouvoir de négociation et obtenir un meilleur accord pour les organismes de presse.
Mais rien de tout cela ne vaut que le gouvernement exerce d’abord son pouvoir discrétionnaire d’appliquer la législation en « désignant » une plateforme. Et le gouvernement ne désignera pas nécessairement Google ou Facebook - l’amendement clé auquel Morrison a renoncé pour mettre fin à la grève de Facebook - si la plateforme « a contribué de manière significative à la durabilité de l’industrie australienne de l’information par le biais d’accords relatifs au contenu de l’information des entreprises d’information australiennes (y compris les accords visant à rémunérer ces entreprises pour leur contenu) » [s. 52E (3)].
Une contribution notable au journalisme. Souvenez-vous de ces mots si délicieusement vagues.
Après avoir conclu des accords avec la quasi-totalité des grands éditeurs et diffuseurs d’informations nationaux dans le mois précédant l’adoption de la loi (là encore, les détails, y compris le prix, sont secrets), le gouvernement australien a choisi de ne pas « désigner » Google ou Facebook.
Quelques mois plus tard : Facebook (mais pas Google) refuse de négocier avec deux petits organismes de presse nationaux bien établis, le site d’information d’investigation à but non lucratif The Conversation (qui possède des agences de presse parallèles dans sept autres pays, dont le Canada) et le Special Broadcasting Service, un radiodiffuseur public qui propose des programmes d’information et des documentaires multiethniques, un peu comme OMNI News au Canada.
Lisa Watts, PDG de The Conversation, a déclaré : « Je crois qu’ils ont simplement cherché à éviter l’arbitrage en concluant plusieurs accords de plusieurs millions de dollars avec de grandes entreprises médiatiques influentes et qu’ils estiment en avoir fait assez pour l’éviter. »
Rod Sims, le chef du Bureau de la concurrence chargé de recommander au gouvernement australien de « désigner » Facebook en vertu du Media Bargaining Code, toujours suspendu, n’est pas content. Il a publiquement laissé entendre qu’il pourrait demander au gouvernement de désigner Facebook et de l’obliger à négocier avec tous les organismes de presse australiens légitimes, et pas seulement avec ceux qu’ils aiment.
Jusqu’à présent, Facebook ne bronche pas : les accords qu’il a conclus avec d’autres éditeurs et radiodiffuseurs pourraient signifier qu’il « contribue déjà de manière significative au journalisme » sans verser un centime à deux organismes de presse qui remplissent incontestablement les conditions d’admissibilité prévues par le code de négociation qui doit encore être imposé.
Il convient de noter que la législation ne stipule pas que Facebook doit conclure un accord avec chaque organisme de presse légitime pour éviter la désignation et l’arbitrage.
Ici, au Canada, le nouveau ministre du Patrimoine, Pablo Rodriguez (c’est son deuxième mandat), doit déposer un projet de loi sur la plateforme avant Noël, conformément à la promesse électorale des libéraux.
Nous verrons alors si le modèle australien a perdu de son lustre pour le gouvernement fédéral ou si le ministre Rodriguez proposera plutôt un fonds de nouvelles conventionnel dans lequel le gouvernement fixera les règles de base pour reconnaître les organismes de presse légitimes et le prix d’une « contribution significative au journalisme ».
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