Janet et les Goliaths
Que doit-on faire avec les géants des données?
Nous le savons déjà: les géants des données Facebook et Google détruisent la viabilité des médias canadiens pendant que leurs plateformes diffusent de fausses nouvelles et de la désinformation. Que peut faire le Canada?
En Europe, les autorités ne rigolent pas, elles ont eu recours à la force.
En 2018, l’Union européenne a imposé à Facebook une amende de 122 millions de dollars américains pour avoir induit le monde en erreur quant à son acquisition de WhatsApp. https://www.cnbc.com/2019/11/09/facebooks-antitrust-investigations-a-timeline-of-events.html
Google a aussi pris une raclée. L'Union européenne a infligé à Google trois énormes amendes totalisant 10 milliards de dollars américains en l’accusant d’abuser de son pouvoir de marché relativement aux publicités en ligne, aux résultats des moteurs de recherche et à son système d'exploitation Android
L’idée semble avoir fait son chemin jusque de l’autre côté de l’Atlantique. En 2019, la Commission fédérale des communications (FTC) des États-Unis a imposé à Facebook une amende de 5 milliards de dollars pour sa complicité dans le scandale de Cambridge Analytica. Les actions antitrust déposées par la FTC et 48 gouvernements d’États américains contre Google et Facebook s’empilent les unes sur les autres.
C’est ici qu’intervient le Canada.
Le hasard étant l'une de ces belles choses qui rendent la vie intéressante, le comité indépendant de l'industrie dirigé par Janet Yale a publié en janvier dernier son rapport sur l’Examen de la législation en matière de radiodiffusion et de télécommunications.
Le mandat initial de Janet Yale en 2018 était de recommander le remaniement des avant-projets de la loi en matière de radiodiffusion et de télécommunications afin de les adapter à l’ère numérique. En plus de répondre aux importantes questions sur l’infrastructure à large bande et sur les plans tarifaires de téléphonie mobile, le comité avait la lourde tâche de déterminer comment composer avec Netflix et la gamme croissante de chaînes de films américaines envahissant le marché télévisuel canadien qui a longtemps été protégé, et il n’avait guère à se soucier des histoires ou des sensibilités canadiennes.
Mais pour suivre l’évolution du monde des communications numériques, Janet Yale et son comité ont étudié la réponse du Canada face aux géants des données Google et Facebook. (Le Bureau de la concurrence Canada y a aussi mis son nez.)
Il y a trois ans seulement, ce type d’intervention réglementaire auprès des plateformes de données semblait impossible sur le plan politique. Que s’est-il passé?
En deux mots : Cambridge Analytica. Dans un scandale aussi lugubre qu’un thriller hollywoodien, Facebook a reconnu avoir permis à des acteurs politiques ciblant les électeurs lors de l’élection de 2016 de pirater et d’exploiter des données appartenant à 87 millions d’Américains.
Lorsque le scandale a éclaté, les géants des données, des entreprises lucratives, ont été accusés d’exercer une influence malveillante. Soudainement, la gratuité de leurs outils numériques ne semblait plus si charitable s’ils cachaient une collecte de données exploitées à des fins douteuses. Les gens ont commencé à faire le lien entre leurs renseignements personnels, le monopole des géants des données, et des changements sinistres dans la vie démocratique.
Le rapport de Janet Yale arrive à point nommé pour formuler la réponse du Canada au pouvoir de Netflix, mais aussi de Google et de Facebook.
Les intentions du rapport en matière de culture ne sont guère surprenantes à la suite du déclin des médias canadiens.
Il recommande d’élargir la réglementation culturelle actuelle, des règles qui obligent les entreprises médiatiques canadiennes à financer les biens publics coûteux que sont le journalisme et la culture canadienne, à Netflix et à d’autres entreprises étrangères de télévision par Internet qui ont saisi une part d’auditoire des diffuseurs canadiens tout en échappant à leurs obligations. Le CRTC avait recommandé la même chose deux ans auparavant.
Pourtant, c’est l’approche des géants des données du comité de Janet Yale que plusieurs n’ont pas vue venir et qui a fait sourciller.
En plus de traiter de Netflix, le rapport recommande que les « plateformes de partage des médias » (c'est-à-dire Facebook ou YouTube de Google) versent également la contribution réglementaire standard au financement du journalisme et du contenu canadien par les médias canadiens. Le rapport recommande précisément que Google et Facebook, qui détiennent 75 % des recettes de publicités en ligne au Canada, contribuent financièrement à la production de nouvelles canadiennes.
Maintenant, certains affirment que les médias canadiens ne peuvent tout simplement plus rivaliser : c’est indéniable, ils ont perdu leur modèle d’affaires basé sur la publicité aux mains des géants des données. Ne méritent-ils pas une aide réglementaire?
Que vous blâmiez ou non les médias traditionnels d’avoir perdu une part considérable de recettes publicitaires essentielles aux mains des géants des données, il est impossible de faire marche arrière. Ils ne pourront jamais espérer se repositionner pour faire concurrence à cause du pouvoir de marché de ces géants et de leurs immenses banques de données.
Aucune organisation médiatique au monde ne peut dépasser les économies d’échelle, la collecte sans précédent de renseignements personnels, les brevets, la portée multinationale et le monopole des différents produits numériques des géants des données qui sont nécessaires pour rivaliser avec eux.
Pour illustrer l’inégalité des règles du jeu, imaginez que nous ayons laissé des organisations médiatiques du monde entier se regrouper en deux ou trois entreprises médiatiques mondiales suffisamment puissantes pour rivaliser avec les géants des données sur le marché publicitaire. La concurrence directe pourrait potentiellement s’équilibrer, mais les répercussions sur la démocratie seraient grotesques.
Ou imaginez que nous permettions la vente d’entreprises médiatiques aux géants des données. Imaginez Picture Fox News qui fusionnerait avec Facebook ou encore Postmedia concluant une transaction avec Visa, une société riche en données.
Ces hypothèses aberrantes plaident en faveur de mesures drastiques contre l'emprise des géants sur le marché de la publicité basée sur les données.
Que devons-nous faire? La meilleure solution antitrust consiste à défaire l'oligopole. Mais dans le cas de l’oligopole de la Silicon Valley, ce pouvoir va bien au-delà de celui des organismes canadiens de réglementation.
Entre-temps, le comité de Janet Yale semble être sur la bonne voie.
La lanceuse d’alerte contre Facebook, Frances Haugen, ne sait probablement rien du projet de loi canadien sur les préjudices en ligne qui...
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